Tout commence à la Sorbonne à Paris en 1998, à l’occasion du 800eme anniversaire de l’université de Paris, où quatre ministres européens signent une déclaration sur l’enseignement supérieur. Ce sont deux rencontres les années suivantes, que l’on appelle le « Processus de Bologne » et de la « Stratégie de Lisbonne », qui font aujourd’hui date. La première fut à Bologne en Italie en 1999 où 29 ministres se rencontrent et produisent une déclaration (signé aujourd’hui par 46 pays, s’étendant à l’extérieure de l’Europe). Le projet initial est l’augmentation du savoir de tous, la facilitation des échanges européens, en un mot le développement de la citoyenneté européenne à travers la mobilité et la coopération – circulation des étudiants – et l’élévation du niveau de la formation1. L’éducation représente alors la dimension culturelle et scientifique de l’Europe afin de contrebalancer celle économique et bancaire qui se construit.
Avec la deuxième rencontre à Lisbonne au Portugal en 2000 qui regroupes les chefs d’Etats Européen (un conseil européen qui ne porte pas uniquement sur l’éducation2), les objectifs sont beaucoup plus clairs et c’est alors l’inverse qui est affiché. L’éducation ne doit plus contrebalancer l’Europe économique et favoriser la coopération mais se subordonné à elle, adopter ses logiques, c’est le triomphe du néolibéralisme dans la connaissance, qui est appelé « l’économie du savoir ». Dans la stratégie de Lisbonne, transformer l’Europe passe par transformer l’université. Pour réussir une Europe de la connaissance, compétitif, il faut une université à cette image. Une Europe concurrentiel mondialement nécessite des salariés dotés de « compétences », c’est-à-dire qui détiennent des savoirs nécessaires à un moment précis. La vision alors promus de l’université est la réduction de l’autonomie académique au profit des « demandes » du monde « socio-économique ». C’est de cette troisième réunion intergouvernementale dont la fameuse phrase « il s’agit de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » est issue. Alors que la première conférence relevée de principe humaniste et progressiste, la seconde adopte clairement une nouvelle vision de l’enseignement supérieur. Alors que dans le « processus de Bologne » c’était le développement de la culture, du civisme, d’échanges intellectuels mit en avant, c’est remplacés par la formation d’une main d’œuvre en fonction des transformations économiques et des besoins du monde du travail, et d’une recherche devant avoir une valeur marchande immédiate dans la « stratégie de Lisbonne ».
La concurrence est la solution avancée par les réformateurs pour devenir compétitif. Pour réussir cette compétitivité de l’Europe (nouveau dogme), il faut alors harmoniser les différents systèmes d’enseignements supérieurs pour faire un espace universitaire unifié, « un marché européen ». Hormis que ce sont dans les déclarations de ces grandes réunions que le discours est visible, ce sont dans ces réunions et différents rapports produits par l’Europe3 que s’élabore les grandes lignes des réformes nationales tel la régionalisation, l’augmentation du pouvoir des directions d’établissements, la dualisation des cycles universitaires (licence d’un coté, master et doctorat de l’autre), financement par les entreprises et les étudiants de l’éducation, la conversion des enseignements en crédit capitalisable pouvant être obtenu en dehors de l’ESR.
Entre 1999 et 2009, Bologne/Lisbonne s’est appliqué, à vitesses variées, dans la totalité des pays signataires. Cela s’est fait en une ou deux fois seulement dans la plupart des pays Européens. Là où l’autonomie financière est installée de longue date (au moins 5 ans), tous les frais d’inscriptions ont bondi (11000 euros au Royaume-Unis, 2000 en Italie, 1000 en Espagne – ce sont les frais d’inscriptions minimums). En France cela commence dans certaines universités (Paris 2) mais reste encore largement peu élevés et contrôlés par l’Etat. Ce sont dans les écoles et diverses structures privés que les frais d’inscriptions sont importants.
1 Ce discours progressiste de la part des réformateurs afin d’enrober les nouvelles logiques qu’ils imposent se retrouvera tout du long, et se déclinera aussi nationalement. Il suffit de penser aux discours de la Ministre actuelle G. Fioraso justifiant sa réforme par la lutte contre l’« échec » en premier année.
2 La stratégie de Lisbonne vise à transformer profondément les Etats européens, et les doter d’un nouveau modèle social.
3 Le rapport Attali commandé par le Ministre de l’Education et de la Recherche publié le 5 mai 1998, vingt jours avant la rencontre de la Sorbonne avec pour nom Pour un modèle Européen d’enseignement supérieur est assez illustratif. Il comprend tout les grandes lignes qui existeront dans les lois, tel les PRES* s’appelant alors les Pôles Universitaires Provinciaux.