Autonomie des universités
Dans la transformation des universités depuis l’après guerre, la notion d’autonomie se trouve au centre du champ de bataille. Depuis les années 60, des réflexions sur l’autonomie ont lieu dans les milieux universitaires. Après 1968, les universitaires comme les ministères demandent l’autonomie. Or en 2002 puis en 2007, le mouvement étudiant lutte contre l’autonomie, retournant ainsi ses revendications historiques. Ce mouvement perd et depuis 2012, toutes les universités françaises sont officiellement autonomes !
Dans les débats, nous devons en effet différencier trois types d’autonomie possible :
- Autonomie administrative (Gestion de l’université – distribution du budget)
- Autonomie financière (Qui donne les fonds et distribution intégral du budget)
- Autonomie pédagogique (choix d’enseignement et reconnaissance de diplôme)
Il n’y a aucun établissement public qui est autonome dans les trois sens du terme actuellement.
L’autonomie est ce fameux mot, avec celui de liberté, qui justifie les réformes depuis 1968 , instauré à l’époque avec la loi Faure à la demande du mouvement social. C’est dans le projet de loi de 2003 que le mot refait apparition aussi clairement. La loi LRU se situe dans cette continuité : le mot « liberté » est dans le titre de la loi, celui « autonomie » est le nom lui sera donné parce qu’étant son socle. Ces deux mots sont connotés positivement, et font parties des revendications du mouvement social historiquement : « autonomie pédagogique », « autonomie scientifique, c’est-à-dire liberté et indépendance de la production et la transmission de connaissance contre le pouvoir politique, ecclésiastique et marchand. Le constat est que malgré des reformes faites au nom de l’autonomie depuis 40ans, celle-ci n’existe toujours pas.
L’« autonomie » en vigueur dans l’Enseignement Supérieur ressemble plus à un développement d’une concurrence généralisée entre universités qu’un réel pouvoir de la communauté universitaire de décider de son avenir, son fonctionnement, ses buts, sa gestion financière.
Loi Faure
Comme bien souvent en ce qui concerne les universités modernes, 1968 en est une fracture. En France, la loi Faure, du nom du ministre de l’éducation nommé dans la foulée des événements de Mai 1968, est présentée comme la mise en place d’une l’autonomie tant revendiquée par les manifestant-es de Mai. Il s’agissait, à l’époque, de couper avec « l’Université autoritaire et centralisée » datant de Napoléon.
La loi Faure qui sort en novembre 1968 souhaite instaurer : « autonomie », « participation », « ouverture sur le monde extérieur. Cette autonomie se concrétise par la disparition des facultés au profit d’université rassemblant plusieurs disciplines et la création de conseil d’administration composée de représentant-es élu-es parmi les personnel-les et de quelques personnalités extérieures. Edgar Faure précise cependant à l’Assemblée Nationale qu’il ne s’agit pas de transformer l’université en « Bureau de placement ». L’autonomie de 1968 est donc celle du champ pédagogique accompagné de la possibilité d’orienter ses budgets selon les choix définis par l’université. Il nous faut noter que l’ouverture sur le monde réclamée aussi par les manifestant-es contient l’idée d’une université non sélective, c’est la volonté d’une université qui ne soit pas reproductrice de l’ordre social (le fameux slogan « contre l’Université de classe ») et dans laquelle se fréquentent ouvrier-es, classes populaires, classes moyennes, femmes au foyer…
Cependant, avec la loi Faure, l’argent est toujours distribué par l’État et celui-ci garde la main mise à travers la reconnaissance des diplômes ou habilitation ministérielle. C’est ce qu’on appelle le cadragenational des diplômes. C’est ce cadre qui permet à tout le monde de pouvoir postuler au concours de la fonction publique ou d’être reconnu dans des grilles de salaire par branche de métier selon le diplôme obtenu (les conventions collectives). Cette reconnaissance maintient donc une pression sur les universités qui ne peuvent pas trop s’éloigner de ce que demande le ministère : la menace est tout simplement la perte d’une habilitation ministérielle. Le chômage, la crise économique qui commence en 1973 poussent à vouloir faire des études pour avoir un emploi, donc à la volonté d’avoir des diplômes reconnus.
LMD
La déclinaison nationale du processus de Bologne commence en France en 2002 avec le L/M/D. C’est un décret qui est censé permettre « l’harmonisation » des diplômes avec les autres pays Européens sous le modèle de structuration Licence/Master/Doctorat afin de parvenir à une meilleure visibilité et un développement la mobilité étudiante. Mais sous couvert « d’harmonisation », le LMD est une des principales étapes de réforme pédagogique des universités, et favorise la régionalisation des diplômes, indispensables à la mise en compétition des universités. Premièrement se décret augmente d’un an le temps à passer à l’université pour obtenir un diplôme (les diplômes Bac+2 et Bac+4 sont supprimés), renforçant la sélection sociale (se financer une année de fac supplémentaire est un luxe que beaucoup d’étudiant-e-s ne peuvent pas se permettre). Ensuite, il sépare le cycle de Licence des deux autres (Master et Doctorat). L’idée ici est de diminuer progressivement l’existence de la recherche en premier cycle (la Licence) pour les cantonner aux autres (Master et Doctorat). Cette dualisation sera largement renforcé par la loi Fioraso, et toutes les étapes de professionnalisation des filières, notamment la Nouvelle Licence. A ce mouvement de diminution de la recherche en Licence, celui de l’augmentation de sa « professionnalisation » est l’autre face de la pièce. L’augmentation de la sélection après la Licence parachève alors cette séparation1. Cela se retranscrira en termes d’établissement dans les autres réformes, notamment la loi Fioraso qui stipule le regroupement d’universités au niveau régionale. D’un côté ceux qui se cantonnerons à des « collèges universitaires » avec des licences de moins en moins disciplinaires et de plus en plus « professionnelles » ; de l’autre des Licences d’excellences, Masters recherches, écoles doctorales et centre de recherche y seront développé mais réservé à un nombre restreint. La constitution de pôle et de campus d’excellence vont dans ce sens, capable de rivaliser avec les meilleurs universités du monde ; et les autres inapte à affronter la concurrence mondiale.
Massification
Période qui commence en 1945, avec le grand remous que fut 1968, qui engendre « l’université de masse », formant à la fois à des disciplines et ambitionnant d’élever le niveau générale de la société en termes de connaissance.
L’après 68 est aussi le début de ce qu’on a nommé la démocratisation puis la massification à partir des années 80. La sélection formelle saute et le baccalauréat donne un accès de droit au premier cycle universitaire. Aucune sélection formelle ne peut avoir lieu jusqu’à la cinquième année (Master 2). Cela signifie qu’un-e étudiant-e qui a obtenu le cycle ou son année peut de droit s’inscrire dans le/la suivant-e.
Résumons, contre l’université accessible aux seuls élites, une massification universitaire s’est produite après la guerre, accélérée par les mouvements sociaux de 68 et des années 70, et ceux jusque dans les années 90, avec une montée dans le même temps des Sciences Humaines et Sociales et un d’État social développé qui a besoin de fonctionnaires ayant fréquenté l’enseignement supérieur. Cette période, sans minorer toutes les critiques légitimes – l’enseignement supérieur n’a jamais été réellement ouvert à tous-tes, les inégalités ont continué d’être la norme – peut être qualifiée de progressiste.
Modernisation
La loi de modernisation : une « victoire » du mouvement social / le contenu des prochaines réformes
En 2003, un projet de loi sur « l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur », rebaptisé et connu sous le nom de « modernisation universitaire » chercha à continuer de vouloir convertir les diplômes en crédits capitalisables. Ce projet est abandonné face au mouvement étudiant mais comportait des éléments qui sont passés dans les lois suivantes (LRU, FIORASO) : début de l’autonomie financière, de la gestion de l’ensemble des personnels, de la dotation globale pour l’ensemble des dépenses (contrairement à une dotation fléchée), de la possession des locaux par les universités, de la régionalisation des formations, des diplômes et de la recherche, des regroupements d’universités et d’établissements privés dans des « établissements publics de coopérations universitaires » dits EPCU (ce que sont les PRES* aujourd’hui, ou les CUE* dans la loi Fioraso). Regarder le contenu des réformes qui ne sont pas passées indique souvent le contenu des suivantes. Il est assez saisissant que ce projet de loi comportait en l’état les propositions qui se sont retrouvés ensuite dans les autres réformes, aujourd’hui appliquées ou en cours.
Privatisation
On entend souvent parler de privatisation des universités – et souvent de nos propres bouches. Privatiser signifie que le capital d’une structure publique passe au secteur privé, cela se traduisant par l’instauration des logiques du secteur marchand telles la rentabilité. Actuellement les universités ne sont pas possédées par le secteur privé. Affirmer la privatisation des universités est un abus de langage qui comporte cependant beaucoup vérité si nous ne restreignons pas ce terme. En effet, de plus en plus de services des universités sont « externalisés », c’est-à-dire laissé au secteur privée ; c’est aussi le cas des enseignements où le nombre de personnes qui les donnent venant du monde « socio-économique » ne cessent de prendre une place plus importante au profit d’enseignants fonctionnaires spécialisés dans une discipline.