Analyse de l’arrêté du 25 mai 2016 régissant le doctorat
En 2015, le MESR avait pondu un projet de nouvel arrêté régissant le doctorat qui avait réussi l’exploit de ne plaire à personne. Une nouvelle « concernation » avait alors eu lieu, sans présenter de grandes avancées. Voici une courte analyse 1) de ce qui a été abandonné depuis le projet de 2015 et la seconde « concertation » ; 2) de ce qui a changé pour les doctorant-e-s par rapport à la situation actuelle ; 3) des modifications institutionnelles concernant l’École Doctorale (ED). Cette analyse inclut les dernières « interprétations » du Ministère communiquées aux universités début décembre
Ce à quoi nous échappons
Voici ce qui a été abandonné entre le projet de 2015, la « concertation » et l’arrêté du 25 mai 2016 :
- Il ne pourra pas y avoir de doctorat obtenu grâce à une Validation des Acquis de l’Expérience (VAE). Cela signifie qu’une thèse – et donc un travail de recherche effectif dans ce cadre – reste nécessaire à l’obtention d’un doctorat.
- Les « représentant[-e-]s du monde économique » ne seront pas invité-e-s à participer à l’élaboration et à l’évaluation des formations doctorales.
- Il n’y aura pas de limitation stricte de la durée du doctorat à trois ans.
- La « professionnalisation » (comme si faire une thèse n’était pas un métier !) à outrance a été édulcorée.
- Nous continuerons à être représenté-e-s par nos élu-e-s au sein des conseils de l’ED.
Ce sont des reculs importants mais nettement insuffisants! Si nous évitons (pour le moment) les doctorats « professionnels », il reste de nombreux éléments problématiques dans cet arrêté ! De plus, une des rares avancées contenues dans le projet, celle visant à « tendre à respecter un objectif de parité », a été retirée au profit d’une vague « représentation équilibrée [sic] des femmes et des hommes ».
Ce qui a changé pour nous
L’inscription en doctorat
- Les étudiant-e-s seront informé-e-s sur « les conditions d’accès, les compétences requises, la nature, la qualité et les taux d’activité professionnelle après l’obtention du doctorat ».
- Pour être inscrit-e en doctorat, il fallait justifier d’un « parcours de formation établissant son aptitude à la recherche. » Désormais, ce sera « un parcours de formation ou professionnel établissant son aptitude à la recherche. » Cela signifie que des dérogations pour des personnes n’ayant pas de M2 sont possibles mais qu’elles nécessitent une validation par le conseil de l’ED.
- Une convention de formation sera établie pour chaque doctorant-e. On y trouvera notamment le statut et le financement du/de la doctorant-e, le calendrier de son projet de recherche, son « projet professionnel et personnel » et son « programme de valorisation des travaux de recherche ». Cette convention pourra être révisée et servira de base à son « comité de suivi individuel ».
- En plus de leur(s) directrice/eur(s) de thèse, les doctorant-e-s pourront être codirigé-e-s par un « professionnel non académique ».
L’instauration d’un « comité de suivi individuel »
- Il sera créé pour chaque doctorant-e un « comité de suivi individuel de la formation ». Ses membres ne « ne participent pas à la direction du travail » du/de la doctorant-e et sont désigné-e-s par l’ED. Le comité « évalue les conditions de la formation du doctorant et les avancées de sa recherche. Il formule des recommandations et transmet un rapport de l’entretien au directeur de l’école doctorale, au doctorant et au directeur de thèse. » Ces comités pourraient être utiles s’ils permettaient de sortir le/la doctorant-e d’une relation binaire avec son/sa directrice/eur et ainsi prévenir/traiter les cas de harcèlement comme de manque d’encadrement. Or, le seul pouvoir prévu pour ce comité (voir ci-dessous) est d’empêcher la ré-inscription de le/la doctorant-e ! En d’autres termes, ces comités n’ont qu’un effet punitif pour la/le doctorant-e. Certaines universités tentent d’ailleurs d’y ré-introduire la présence des encadrant-e-s de thèse. Nous proposons :
- que la nomination du comité individuel ne puisse se faire que par accord explicite entre le/la doctorant-e et l’ED ;
- que la réinscription du/de la doctorant-e se fasse en changeant de directeur/rice, si celleux-ci ont manqué à leurs engagements de direction de thèse ou sont suspecté-e-s de harcèlement, en lieu et place de l’exclusion de fait du/de la doctorant-e.
- Ces comités de suivi individuels ne sont pas des comités de thèse. Ils n’ont pas à juger le contenu scientifique du travail du/de la doctorant-e mais doivent permettre de créer un espace permettant de discuter des modalités pratiques voire pédagogiques de la formation.
- Les « modalités de composition, d’organisation et de fonctionnement » de ce comité devront être déterminées par le conseil de l’ED (article 13). Nous avons ici une opportunité d’atténuer les problèmes que posent ce comité en proposant, par exemple, qu’y siègent en égale proportion enseignant-e-s et doctorant-e-s, afin que ce soit véritablement un outil de suivi et non de punition.
La durée du doctorat
- La durée du doctorat « s’effectue en règle générale en trois ans en équivalent temps plein consacré à la recherche. Dans les autres cas, la durée de préparation du doctorat peut être au plus de 6 ans. » Les interprétations divergent sur le fait de savoir si ces 6 ans incluent les éventuelles dérogations pour maladie, handicap, paternité, maternité ou l’année de césure. Les dernières informations en provenance du ministère semblent toutefois indiquer que ces dérogations s’ajoutent aux 6 ans maximum.
- À partir de la troisième inscription, la réinscription d’un doctorant-e dépendra de l’avis « du comité de suivi individuel du doctorant. En cas de non renouvellement, après avis du ou des directeur(s) de thèse, un avis motivé est notifié au doctorant par le directeur de l’école doctorale. » Contrairement au projet proposé en concertation, cela s’appliquera aussi aux doctorant-e-s non-financé-e-es. Le comité de suivi doit être un soutien pour le/la doctorant-e et ne devrait donc pas être autorisé à empêcher celui-ci ou celle-ci de s’inscrire.
- Un-e doctorant-e pourra désormais, sur demande motivée, se voir autoriser une année de césure (il ou elle pourra rester inscrit lors de cette année si elle ou il le désire). Il est à noter que la césure est ici moins vue comme un « droit » que comme une « possibilité ». Il faut être vigilant-e-s sur l’application réelle d’un dispositif qui peut être bénéfique aux doctorant-e-s.
Le contenu du doctorat
- Les doctorant-e-s devront suivre une formation à la pédagogie si elles et ils donnent des cours et/ou si elles et ils se destinent à l’enseignement. Encore faut-il garantir une formation de qualité, ce qui suppose des moyens.
- Les doctorant-e-s auront désormais un « porte folio » contenant la liste individuelle de leurs activités durant leur formation et listant les compétences développées. Ainsi, ce ne sera pas le même diplôme pour tou-te-s : chacun-e aura ses propres « compétences » associées, valorisables sur le « marché du travail ». La différence se fera particulièrement sentir entre les doctorant-e-s contractuel-le-s et les autres. C’est le début des diplômes à plusieurs vitesses.
- Une charte du doctorat sera créée dans chaque ED. Celle-ci pourra préciser les obligations des doctorant-e-s ou leur en adjoindre de nouvelles, par exemple en matières de formations obligatoires. Nous réclamons que soient inclues à cette charte les obligations des directrices/eurs de thèse (telles que répondre aux courriels de ses doctorant-e-s, lire ce que nous leur envoyons, etc.) mais aussi celles des ED et unités de recherche (mise à disposition de postes de travail, prise en charge de frais de déplacement…).
- Les travaux des doctorant-e-s devront être valorisés au sein des équipes auxquelles ils et elles sont rattaché-e-s.
La soutenance de thèse
- La composition du jury de thèse doit désormais « permettre une représentation équilibrée [sic] des femmes et des hommes ». Ses membres pourront, à titre exceptionnel et à l’exclusion du/de la président-e, participer à la soutenance via visioconférence.
- Désormais, Les deux rapporteurs/ses du jury devront être « extérieur-e-s ». Il pourra y en avoir un troisième s’il s’agit d’une « personne du monde socio-économique qui n’appartient pas au monde universitaire ».
- Les directrices/eurs de thèse siégeront au sein du jury, seront présent-e-s lors de la délibération mais ne prendront plus part à la décision finale. Cela signifie que la personne la plus au fait de notre travail est exclue de son évaluation…
- Les mentions sont supprimées.
Les modifications institutionnelles de l’ED
- La composition du conseil de l’ED devra « permettre une représentation équilibrée [sic] des femmes et des hommes ». Le conseil de l’ED ne sera plus obligé de se réunir minimum trois fois pas an.
- Il sera inscrit dans la réglementation la possibilité de création d’un collège doctoral (au niveau des COMUE), récupérant des compétences des ED. Chaque ED pourra refuser de voir ses missions déléguées au collège doctoral ; dans la réalité, la pression budgétaire permettra aux COMUE d’imposer leurs décisions aux ED.
- Pourront désormais participer à une ED, en plus des établissements d’enseignement supérieur, des organismes publics de formation et de recherche, « des fondations de recherche » publiques ou privées. Les directeurs/trices de l’ED pourront en provenir C’est la porte d’entrée à la délivrance du doctorat, via les COMUE, par des écoles privées.
- Il y aura un annuaire national des ED.
- L’ED devra « accompagner » (et non plus « former », comme il en était question dans la première mouture du projet) les directeurs/trices de thèse.
- Dans le même temps, le nombre de membres extérieurs au sein du conseil de l’ED a été abaissé de 30 % à 20 %. C’est un progrès ; ce n’est pas suffisant.
Solidaires étudiant-e-s, syndicats de luttes
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