LE SALARIAT ETUDIANT : SES CAUSES ET SES CONSEQUENCES
Le salariat étudiant = une réalité
Selon une enquête nationale de 2013 menée par l’Observatoire de la Vie Etudiante (OVE)1, près d’un-e étudiant-e sur deux travaille aujourd’hui pour financer ses études au cours de l’année universitaire (soit 45% des étudiant-e-s). Ce sont 73 % d’étudiant-e-s si l’on prend en compte le travail saisonnier et lors des vacances scolaires.
Si l’on regarde de plus près le type d’activité des étudiant-e-s (schéma 1) : 17% des étudiant-e-s salarié-e-s ont une activité rémunérée liée aux études (internes ou externes des hôpitaux, allocataires d’enseignement…) et 29 % sont en stage ou en alternance. 35% des étudiant-e-s salarié-e-s occupent un « job », une activité non liée aux études mais exercée moins de un mi-temps (baby-sitting, cours particuliers…). Et 19 % des étudiant-e-s salarié-e-s ont une activité rémunérée non liée aux études, exercée au moins à mi-temps et plus de 6 mois par an.
Ainsi si on s’intéresse à la durée de l’activité rémunérée, 46,8 % des étudiant-e-s salarié-e-s occupent un emploi plus de 6 mois par an (schéma 2). Et 49,3% de ces étudiant-e-s sont au minimum à mi-temps , voire à temps plein (schéma 3)
Schéma 1 : Source : Enquête Conditions de vie, OVE, 2013.
Schéma 2 :
Schéma 3 :
Pourquoi les étudiant-e-s se salarient ?
Certain-e-s étudiant-e-s peuvent nous dire qu’ils/elles occupent un job afin de se faire une expérience professionnelle, afin d’acquérir des compétences en dehors de l’enseignement supérieur. Ce n’est pas totalement faux. Mais ce n’est pas totalement juste non plus !
La hausse des prix des loyers, des transports, de l’alimentation, des transports, des livres… beaucoup de postes de dépenses sont de plus en plus difficiles à assumer. Pourtant ce sont les principaux postes de dépenses des étudiant-e-s (schéma 4).
Schéma 4 : Source : Enquête Conditions de vie, OVE, 2010
En parallèle, le système d’aides sociales est aussi insuffisant qu’inadapté. Les bourses de l’Etat sur critères sociaux entendent permettre aux étudiant-e-s issu-e-s des milieux les plus modestes de poursuivre leur étude. Mais elles demeurent largement insatisfaisantes.
Elles sont généralement versées en retard, comme en janvier 2015. Elles ne sont versées que 10 mois par an, leur interruption en juillet et en août oblige les étudiant-e-s à travailler l’été. Les bourses ne touchent que 500 000 étudiant-e-s, soit 20,8% des étudiant-e-s. Elles ne sont donc pas assez nombreuses vu le nombre d’étudiant-e-s en difficulté financière (50,4%). De plus, les montants ne permettent pas de vivre (le plus haut étant de 550 euros par mois), ils sont bien en dessous du seuil de pauvreté (993 euros par mois). D’ailleurs on peut vite s’apercevoir que le montant des bourses est largement inférieur à ce que peut recevoir un-e étudiant-e qui se salarie (schéma 5).
Schéma 5 : Source : Enquête Conditions de vie, OVE, 2010
Mais le gouvernement actuel fort ambitieux n’a pas dit son dernier mot :
« Après l’effort exceptionnel qui avait été fait au budget 2013, avec une progression de plus de 7 % pour les bourses sur critères sociaux (150 M€), ce plan ambitieux de réforme des aides aux étudiants, mis en place pour les rentrées universitaires 2013 et 2014, confirme la priorité du Gouvernement en faveur de la jeunesse dans une période difficile, ou la formation est plus que jamais garante d’insertion professionnelle et de contribution au redressement de notre pays. Ce plan traduit et amplifie les objectifs de la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur et la recherche, adoptée le 9 juillet dernier : démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur et favoriser la réussite de tous les étudiants. » Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
En juin 2014, Benoit Hamon alors Ministre de l’Education nationale annonce une revalorisation des bourses. A l’échelon 0 qui permettait déjà l’exonération des frais d’inscription, l’étudiant-e- reçoit maintenant 1000 euros par an, soit 100 euros par mois. Cette revalorisation concerne 77 000 étudiant-e-s. Nous sommes actuellement 2,4 millions étudiant-e-s, dont 54% sont en difficulté financière, alors que nous sommes que 20,8% de boursiers. Merci pour cet argent de poche ! Mais le gouvernement a par la même occasion enlever à Pierre pour donner à Paul. Il a proposé la suppression des bourses au mérite (même si ce modèle d’attribution est très contestable, cela confirme que l’Etat n’a pas fait d’effort budgétaire) et surtout il a illégalement supprimé les bourses post-master pour la préparation aux concours de l’enseignement (Agreg, Capes, etc.).
Cette situation pousse les étudiant-e-s vers un salariat contraint, permanent ou non, mais toujours en concurrence avec des conditions d’études optimales.
Se salarier, c’est échouer !
La réalité du salariat étudiant est largement ignorée et n’inquiète personne. Rappelons que les activités salariées des étudiant-e-s ne sont pas comptées dans les statistiques de la population active.
Alors même que dans une enquête statistique « l’impact du travail salarié des étudiants sur la réussite et la poursuite des études universitaires »2, l’INSEE montre que la poursuite d’une activité salariale nuit à la réussite scolaire. En effet l’occupation d’un emploi régulier réduit significativement la probabilité de réussite à l’examen de fin d’année universitaire.
L’étude montre ainsi que lorsque l’activité salariale est de plus de 16 heures par semaine, le taux de réussite aux examens est de 37,9%. Lorsque l’activité salariale est de moins de 16heures hebdomadaires, le taux de réussite est de 55%. Il est de 66% pour les étudiant-e-s non salarié-e-s. Le salariat régulier et le nombre d’heures élevé favorise donc l’échec académique des étudiant-e-s.
Pour ce qui est de la poursuite des études, l’enquête montre que l’origine sociale de l’étudiant-e influence directement sa décision de poursuivre ses études. La probabilité de travailler en cours d’études est significativement plus faible pour les étudiant-e-s issu-e-s de catégories sociales dites « aisées ». De même la probabilité de poursuivre ses études est plus forte pour les catégories sociales dites « aisées » que pour ceux et celles issu-e-s des classes populaires. Le salariat renforce les inégalités d’accès à la formation : ce sont les étudiant-e-s issu-e-s des milieux les plus modestes qui doivent se salarier, donc qui voient grandir leurs chances d’échouer et d’abandonner l’université.
Salarié-e et précaire
Les étudiant-e-s salarié-e-s occupent très souvent des emplois peu qualifiés, notamment dans le secteur du commerce en détail, de la restauration ou bien de l’animation.
Schéma 6 : Source : Enquête Conditions de vie, OVE, 2010.
Être étudiant-e et salarié-e, c’est être partagé-e entre deux mondes, entre deux chaises. C’est avoir (au moins) deux emplois du temps, c’est aussi être pris dans les objectifs de deux mondes différents : s’investir dans son travail, ou s’investir dans ses études ? Il est difficile de tenir l’investissement sur les deux fronts et sur la durée. C’est ce qui fait que les étudiant-e-s salarié-e-s sont parfois des étudiant-e-s absent-e-s de leurs études (peu de présence en cours, dans les établissements), ou des salarié-e-s « ailleurs », peu concerné-e-s par ce que vivent les salarié-e-s à leurs côtés, par les conditions de travail. Ils peuvent se penser comme présent-e-s pour une durée limitée.
La plupart sont dans des conditions précaires (intérim, CDD, cumul d’emplois, travail au noir…). Ils/elles sont perçu-e-s par les entreprises comme de la main d’œuvre qualifiée et utilisable à moindre frais. Le turnover, loin d’être une contrainte dans certains secteurs (restauration, animation…) permet aux entreprises une main d’œuvre constamment renouvelée. Au lieu de développer des compétences qualifiantes, les étudiant-e-s y apprennent surtout à être adaptables, souriant-e-s, à arriver à l’heure, à montrer de la motivation au travail… En plus, les employeurs peuvent facilement leur imposer des bas salaires. Ils/elles ne sont pas trop revendicatifs/ves.
En effet, ces étudiant-e-s perçoivent généralement leur emploi comme occasionnel, « pas pour toute la vie ». Ils préfèrent donc les contrats courts (CDD, intérim), cherchent à taffer le dimanche, les week-ends et le soir. Ces étudiant-e-s contribuent, malgré eux, à déstabiliser l’emploi des autres salarié-e-s. Cette situation entraine une concurrence avec les salariés non étudiant-e-s ; tant au niveau des horaires que celui des compétences. Le salariat étudiant participe ainsi à la banalisation de la précarité et de la flexibilisation du travail.
Leur précarité au travail s’accompagne bien souvent d’une méconnaissance des droits des salarié-e-s, d’une ignorance totale du Code du Travail et ils/elles se trouvent dans des secteurs faiblement syndiqués. Isolé-e-s, les étudiant-e-s se retrouvent souvent démuni-e-s lorsqu’ils/elles sont confronté-e-s à leur employeur-se. Plus grave un-e étudiant-e qui perd son emploi ne peut bénéficier d’allocation chômage, son statut d’étudiant-e le prive de l’accès au statut de demandeur-se d’emploi, le dépossédant en conséquence de ses droits.
Non reconnaissance du statut étudiant-e salarié-e
Occuper un job en plus de la poursuite des études est extrêmement difficile : fatigue, surcharge, stress… S’ajoutent à cela une absence de reconnaissance du statut d’étudiant-e salarié-e, ainsi qu’une totale méconnaissance de cette réalité par le corps enseignant et l’administration. Alors que 45% des étudiant-e-s sont salarié-e-s, les administrations continuent de les considérer comme des cas particuliers.
Aucune réglementation nationale ne vient encadrer ou imposer la mise en place de dispositifs pédagogiques adaptés aux étudiant-e-s salarié-e-s. L’existence de dispositions varie selon les universités (parfois il n’en existe pas), et en leur sein, selon les diplômes. Demander une adaptation de son emploi du temps revient souvent à se soumettre au bon vouloir de l’administration.
Certaines universités soumettent des aménagements à un seuil d’heures hebdomadaires, parfois 15heures, voir même 20heures par semaine sont exigées, preuves à l’appui (contrat de travail, attestation de l’employeur). En quoi consistent ces aménagements ? Rien d’extraordinaire : dispense de contrôle continu et obligatoire et inscription au régime terminal pour les examens, possibilité de s’inscrire dans les TD du soir ou du samedi, parfois accès à des polycopiés. Certains diplômes proposent d’étaler la validation des enseignements sur deux ans au lieu d’un régime long.
Mais ces aménagements ne constituent qu’une solution à très court terme. Au lieu de faciliter sa vie, les dispenses d’assiduité aggravent le décrochage et accentuent ainsi les inégalités sociales. L’étudiant-e salarié-e est dispensé-e de TD, très bien. Mais il ou elle va manquer une partie du contenu universitaire.
Les réformes actuelles de l’Université n’arrangent rien, bien au contraire
Avec les réformes que connait l’Université depuis quelques années (LMD, Plan réussite en licence…) plusieurs changements dans les contenus pédagogiques entraînent de nombreuses difficultés pour les étudiant-e-s qui suivent leurs études en travaillant à côté.
L’idée que le salariat offre aux étudiant-e-s la possibilité de se professionnaliser se répand de plus en plus. Ainsi un rapport du Conseil économique, social et environnement, adopté à l’unanimité en 2007, présente l’emploi étudiant comme un atout, à condition de prendre des mesures pour mieux concilier études et emploi. Il préconise notamment la validation pédagogique des jobs étudiants dans le cadre du cursus universitaire.
Ainsi « le plan de réussite licence » adopté en 2007 prévoit notamment de faire « découvrir » le monde professionnel aux étudiant-e-s. En professionnalisant la formation en licence, il a transmis l’idéologie managériale. Fort de cela, plusieurs mesures ont été proposées comme la mise en place d’ « aménagements pédagogiques » destinés aux étudiant-e-s salarié-e-s (cours du soir, mise en ligne des cours sur internet, etc.), la multiplication des emplois étudiants au sein de l’université, l’instauration de nouveaux services d’ « insertion professionnelle ». Il s’agit donc d’introduire dans l’université des « savoirs-êtres » valorisés dans les entreprises. Ainsi le ministère n’est pas contre le salariat étudiant. L’étudiant-e est de la main d’œuvre facile, et en se salariant, il se professionnalise. Merci patron !
Le ministère porte comme cheval de bataille la question des stages et de l’alternance qui favoriserait selon lui, l’ « insertion professionnelle ». De façon spectaculaire, les activités professionnelles intégrées au cursus ont explosé ces dix dernières années. La part des étudiant-e-s effectuant des stages obligatoires, dont les deux tiers ne sont pas rémunérés, est passée de 19% en 1994 à 43% en 2010.
En outre, la suppression progressive des sessions de rattrapages (comme la session de septembre déjà supprimée ou « déplacée » en mai/juin), la multiplication des contrôles continus (instauration de contrôle continu intégral, validation dite « par assiduité »), le nombre croissant d’heures de tutorat ou de suivi méthodologique imposent une présence quasi obligatoire aux cours pour les étudiant-e-s. La multiplication des Cours Magistraux, avec de grands effectifs n’est pas non plus une solution.
Le volume horaire des différents parcours (en licence et en master) augmente chaque année. On voit aussi éclore des nouveaux parcours, comme les masters d’enseignement (MEEF) où plus de 35 heures de cours hebdomadaires sont dispensés, ne permettant plus aux étudiant-e-s qui sont contraint-e-s de se salarier, de suivre ces filières. La sélection s’opère de fait à l’entrée du master.
Les impératifs d’économie budgétaire passent devant les intérêts des étudiant-e-s salarié-e-s. Le service public de l’éducation est cassé.
La sélection sociale favorisée
À la rentrée 2013, 2 429 900 étudiant-e-s sont inscrit-e-s dans l’enseignement supérieur en France, soit une hausse de 1,8 % par rapport à la rentrée 2012 (+ 43 000 étudiants)3. En 2013, le nombre d’étudiants à l’université augmente de 2,5 %. On ne peut que se réjouir d’être de plus en plus nombreux/ses. Mais peut-on parler de démocratisation pour autant ?
Rappelons que les enfants issu-e-s des classes populaires sont sous-représenté-e-s à l’université : les enfants issu-e-s de parents ouvrier-e-s représentent 10,7% des étudiant-e-s, ceux issu-e-s de parents employé-e-s représentent 12,3%. Alors que les employés et les ouvriers constituent à eux deux 28,3% de la population totale. Ceux et celles issu-e-s des professions intermédiaires représentent 12,8%. Tandis que les enfants de cadres et de professions intellectuelles supérieures représentent 30,4% des étudiant-e-s, alors qu’ils et elles ne représentent que 9,3% de la population totale.4
En conséquence, les inégalités de classes entre étudiant-e-s sont aggravées. Le type d’emploi occupé diverge en fonction de la classe sociale de leurs parents. Les enfants de cadres occupent principalement des activités assez occasionnelles, comme du baby-sitting et des cours particuliers. Plus ils avancent dans leurs études, plus ils s’inscrivent dans une logique d’anticipation, avec des activités en cohérence avec leurs études (internat en médecine, doctorat). Un-e étudiant-e souhaitant devenir enseignant-e va postuler dans le secteur de l’animation ou être surveillant. A l’inverse, les étudiant-e-s d’origine populaire tendent à se retrouver avec des missions qui ne sont pas directement liées à leurs études : des emplois d’ouvriers ou d’employés de commerce, exercés de façon intensive, et qui présentent un danger pour la suite de leurs études. Le boulot occasionnel dure. Les étudiant-e-s les plus précaires, n’arrivant ou ne pouvant plus à jongler entre travail/études, se retrouvent exclu-e-s de l’université.
L’insuffisance des bourses contribue en premier lieu à ce phénomène. Mais les réformes globales de l’université, qui touchent en premier les étudiant-e-s boursier-e-s et/ou salarié-e-s, l’accentuent encore. A terme, cela favorise les catégories sociales « aisées », qui n’ont pas besoin de se salarier, au point de remettre en cause le droit à toutes et tous à l’éducation et à la possibilité de poursuivre des études dans de bonnes conditions.
Solidaire Etudiant-e-s revendique :
* La possibilité pour les étudiant-e-s salarié-e-s d’aménager leurs emplois du temps dès la signature d’un contrat de travail, pour ne pas être contraint de manquer des cours.
* L’abrogation de l’assiduité obligatoire au cours. Les étudiant-e-s n’ont pas à être infantilisé-e-s.
* La multiplication du nombre de TDs, en effectif réduit. Etudier dans de bonnes conditions est primordial pour réussir ses études.
* L’augmentation immédiate des bourses en nombre et en montant, pour freiner le salariat subit. Elles doivent être attribuées sans discriminations (étudiant-e-s étranger-ères et plus de 26 ans compris), versées tous les 1er du mois et sur 12 mois.
* La construction de nouveaux logements sociaux, via notamment la réquisition immédiate des logements inoccupés pour permettre aux personnes sans ressources financières de vivre dignement.
* La rémunération minimum des stages au SMIC horaire, et la signature obligatoire d’un contrat de travail pour tous les stages, quel qu’ils soient. Les stages sont un emploi, il n’y a aucune raison qu’ils échappent au droit du travail.
N’en restons pas là, mobilisons nous
1 http://www.ove-national.education.fr/medias/OVEFiche_activite_remuneree_CDV2013_.pdf
2 http://insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&id=2708
3 http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2014/04/6/RERS_2014_optim_346046.pdf
4 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=T14F102#bibliographie